Seuls, avec Wajdi Mouawad

La dernière création du dramaturge/metteur en scène et acteur libano-canadien Wajdi Mouawad a l’effet d’une bombe. Unique acteur d’une pièce qu’il a écrite et qu’il a mise en scène, Wajdi nous emmène dans un voyage intime où plusieurs thèmes s’entremêlent : celui du coma comme espace de communication et de création et non pas de silence et de solitude, celui de la langue maternelle comme dernier refuge de la conscience et celui du fils prodigue, la parabole mais aussi son interprétation par Rembrandt dans son célèbre tableau exposé à l’Ermitage à Saint-Petersbourg.

Tous ces thèmes explorés dans une discussion entre Wajdi, lui-même et des personnages imaginaires sont autant de pistes ou de moyens pour explorer ce conflit entre ce qu’on est et ce qu’on a voulu être, entre le présent réel et celui hypothétique si le passé s’était prolongé sans rupture. On retrouve les thèmes de l’exil et de l’identité perdue chers à Wajdi Mouawad sauf qu’il va encore plus loin cette fois en se posant la question ultime : au delà du changement d’espace et de langue signifié par l’exil, que se cache-t-il d’autre ? Dans le cas de Wajdi, il se cache un artiste dont le devenir se réalise brutalement dans la deuxième partie de la pièce, une brutalité qui ressemble à une sortie du cocon du quotidien, à une naissance d’un adulte à partir des rêves d’enfance. Splendide. (note : 5/5)

Pour prolonger le plaisir, une interview avec Wajdi Mouawad en marge du Festival d’Avignon en juillet 2008.

3 réflexions au sujet de « Seuls, avec Wajdi Mouawad »

  1. Vraiment pas d’accord avec vous, mais alors vraiment pas! ce spectacle, « Seuls »: « l’effet d’une bombe »? vous plaisantez? ou et quand avez vous donc déjà connu l’effet d’une bombe? dans quel guerre? quelles circonstances? jamais vu pareil spectacle plus narcissique ni plus autiste! l’exil? anecdotique dans ce spectacle qui lorgne vers Robert Lepage en se contenant de le copier! et la fin si pénible et si insupportable dix fois trop longues (on a compris c’est bon) et cette maison en lequel il s’enferme??? il l’aura bien voulu et quant à s’exhiber les tripes à l’air et avec tant de moyens de complaisance autocratique: très peu pour lui et hélas pour nous! mais si vous aimez que les cultureux exhibent leurs prurits , libre à vous! le problème est là justement: UNIQUE acteur d’un spectacle qu’IL a écrit et qu’IL a mis en scène tout seul il nous impose ce caca nerveux figuré par cette fange boueuse dans la peinture. personnellement j’ai horreur que les artisttes se servent de l’argent public pour régler leurs comptes avec la psychanlyse qu’ils n’ont pas le courage d’effectuer pour vivre mieux avec les autres. Au risque de vous déplaire puisque ce show grotesque m’a déplu et que vous décrivez sans avoir rien analysé d’un peu profond; il a le droit de rater un spectacle Mr W.M. mais peut être en fait il trop et sans recul mais vous ne pouvez quand même pas cautionner ce machin sans queue ni tête car excessivement tourné vers lui même; même johnny halliday n’oserait pas faire preuve d’un pareil narcissisme! note: 2/5 et encore je suis gentil.

  2. pas du tout d’accord avec M. Heraut!
    c’est dingue, cette différence de goût entre les gens — j’avais écrit cet article à Beyrouth:

    (PS: moi qui connaît l’effet d’une bombe, je peux confirmer que ce n’est pas une bonne comparaison)

    Wajdi Mouawad, seul sur scène, seul avec son double ou ses « doubles », toutes les éventualités, les possibilités d’un être. Celui qui serait resté à Beyrouth, enfant, adolescent, adulte, celui que son père aura transporté au Canada pour lui offrir une vie meilleure, le privant d’une langue, d’un jardin, d’un bonheur céleste.
    Wajdi Halwan qui lutte pour être quelqu’un de bien, d’heureux, dans un pays en paix et qui trébuche sur l’absence de l’enfant qu’il a été, celui qui aimait la couleur, les étoiles et son chien – et dont on a omis d’emmener les jeux, les cadeaux de Noël, les tableaux qu’il avait lui-même peints, parce que ce n’était pas essentiel et que lorsqu’on part en exil, c’est l’essentiel (mais quoi ? Des vêtements ? Les carnets scolaires ? Les livrets de vaccination ?) qu’on prend avec soi.
    À Montréal, dans le froid, Halwan rédige une thèse sur l’identité au travers de l’usage du cadre dans le travail de Robert Lepage, cinéaste et metteur en scène canadien. Tout son travail de recherche aura eu pour but de comprendre comment l’œuvre artistique parvient, à partir d’un cadre fini, à nous déposer ailleurs, à nous déplacer dans les infinies possibilités, dans ce qui a été de tout temps et qui se transformera pour donner sa couleur à tout ce qui advient.
    Après avoir installé le décor (sa chambre nue, sans âme, avec fenêtre), la situation (un chagrin d’amour, une thèse sans conclusion, une sœur complice, un père qui l’attend souvent en vain les dimanches, à la fois aimant et exilé de ce qu’il aime), après avoir mêlé les langues, lutté contre la passivité, la colère, l’inaction, la neige à moins quarante, les mauvaises nouvelles, les imprévus, la tentation de rester couché, d’en vouloir aux autres – le père, la nouvelle patrie, le destin et les sillons arbitraires, raisonnables, étouffants de l’avenir, le personnage, l’auteur, la dramaturgie basculent au bout de près de deux heures, prennent leur envol. C’est quand le personnage se tait, enfin, que la pièce elle-même explose de son cadre et se transforme en ce que rien n’annonçait : une performance de plasticien. C’est subitement, tout simplement, incroyable. Un ballet qui consiste à donner couleur à un décor étonnant, un immense paravent dépliable à souhait, fabriqué aux ateliers du théâtre du Grand T à Nantes même et où se confondent les figures de Halwan, du fils prodigue peint par Rembrandt et de Mouawad qui se love ici dans le giron de son pays, explicitement, afin de se retrouver lui-même.
    La brillance technique de son corps, de la scénographie, des lumières, de la peinture, nous amène forcément et cyniquement à nous demander s’il ne valait pas mieux vivre en exil, « produire » et avoir accès aux structures et au savoir-faire canado-européens plutôt que de rester à Beyrouth, durant toutes ces années de maturation, à écouter la même musique (Feyrouz, Abdel Wahhab et la musique originale d’assez mauvais goût signée Michael Jon Fink, le seul bémol !) qu’il nous a servie durant la pièce.
    En tout cas, pour avoir établi un cadre parfait, une gestuelle forcenée, des découpages de lignes, de lumières, de sons, réglés au millimètre et à la seconde près, Mouawad parvient à offrir l’irremplaçable, la rare sensation d’échapper aux lois du temps et de l’espace. En peignant la pure affectivité, il se place en deçà de tout discours (identitaire, familial, nostalgique, national, artistique) et décide d’ignorer les bornes et les frontières, les limitations imposées, imaginées, illusoires, posées par les récits de la mémoire. Seule l’expression compte, la sortie de soi, trouver le vocabulaire originaire qui n’est pas celui des langues parlées. Cela seul permet de convoquer en un lieu et en un temps ceux que nous sommes, avons été et serons. On est moins seul, lorsqu’on revient à soi.

  3. J’ai aussi connu l’effet d’une bombe… quelque part dans les années 80 quand je vivais encore au Liban et que les pluies de bombes faisaient encore partie du paysage. Je reconnais que la comparaison « au premier degré » n’est pas appropriée mais vous aurez compris l’image.

    Heraut, ça ne mérite pas tout cet énervement, W.M. n’impose rien à personne, les spectateurs sont libres d’aller voir ses pièces, de les aimer ou pas. Son succès montre uniquement qu’il y beaucoup de personnes qui apprécient ce qu’il fait et qui se retrouvent dans ses écrits (sans qu’ils soient forcément immigrés et/ou libanais). Quand au reste, c’est une question de sensibilité personnelle.

    Hatem, merci pour votre commentaire… je ne savais pas que le spectacle de W.M. est passé à Beyrouth. Comment a-t-il été accueilli?

Répondre à hatem Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

%d blogueurs aiment cette page :