Avignon 2022!

Retour à Avignon cet été pour un premier festival sans masques, et un cru comme toujours contrasté, mais de belles découvertes (par ordre chronologique) :

Une adaptation dépoussiérée des Fourberies de Scapin par une jeune troupe (Compagnie de l’Eternel Eté) qui en est à sa quatrième saison à Avignon et au 300è de cette pièce également jouée au Lucernaire à Paris. Explosif, rythmé et plein d’énergie, on rit, on chante et on redécouvre avec plaisir ce classique de Molière. (note: 4/5)

1942, Monsieur Haffmann confie sa bijouterie à son employé Pierre Vigneau en attendant des jours meilleurs. Ce dernier accepte de le cacher dans la cave en contrepartie… qu’il l’aide à avoir un enfant avec sa femme. La folie de la guerre fait écho à celle des hommes, dans un jeu d’acteur remarquable, et une scène finale qui finit en apothéose. Un petit bijou… (note: 5/5)

Plus de 1000 représentations de cette pièce qui retrace l’histoire d’Alan Turing, génie anglais du milieu du XXè siècle dont l’histoire est tout aussi décalée que tragique, et qui inventa une machine à l’origine de ce qui sera l’ordinateur et l’intelligence artificielle. On rit, on est bouleversé, et on a envie de revenir. (note: 5/5)

Une mise en scène classique par Carlo Boso d’une pièce classique avec des acteurs qui connaissent leur texte, mais qui ont du mal à sortir du texte de Molière qui a 300 ans, ne l’oublions pas. Un bon moment. (note: 3/5)

Le Songe d’Une Nuit d’Ete nous amène dans une forêt magique où des lutins et des fées se mêlent d’une intrigue amoureuse quitte à chambouler la marche du destin… Cette mise en scène de Matthieu Hornuss est tout simplement hilarante et les 6 comédiens qui incarnent une vingtaine de rôles vont au bout de leur talent et de leur énergie pour un spectacle haut en couleurs. Génial. (note: 5/5)

Un texte déjanté de Ionesco où on assiste à une leçon privée entre un professeur et une élève… qui commence sur des airs drôles pour sombrer progressivement dans la folie. Cette mise en scène de Bruno Dairou encensée par la pesse régionale et qui en est à sa troisième saison à Avignon avait tout pour plaire… mais l’alchimie ne prend pas, et on s’agaçe au lieu de rire. Le temps est long, malgré des acteurs qui maîtrisent leur texte… dommage. (note: 2/5)

On sombre progressivement dans la schizophrénie d’un petit fonctionnaire d’un ministère du tsar de Russie… qui se prend pour le roi d’Espagne et dialogue avec les chiens. Un texte drôle et émouvant que délivre un acteur formidable dans un monologue de haut vol, mais une mise en scène (du même Bruno Dairou…) qui reste prisonnière des mots. (note: 3/5)

Spectacle d’une compagnie québecoise où 6 acteurs / voltigeurs / musiciens essayent de donner un peu d’humanité à un monde de pièces détachées et de machines. De la voltige, de la poésie, de l’humour et des acteurs qui n’hésitent pas à se mettre tout nus pour faire rire. Un régal. (note: 5/5)

On a adoré Machine de Cirque, on est donc naturellement retourné voir le deuxième spectacle joué par la même troupe. Nous sommes dans une galerie d’art très conventionnelle… et qui le devient de moins en moins quand on découvre l’envers du décor grâce aux acteurs qui font dérailler l’ordre établi. Un deuxième régal! (note: 4/5)

The French Dispatch

Wes Andersen nous fait voyager dans Ennui, ville française imaginaire des années 1950-60, à travers le regard de journalistes excentriques en charge du supplément du dimanche d’un magazine du Kansas. On y croise un détenu psychopathe devenu artiste malgré lui, la jeunesse de mai 68 et ses contradictions, un reportage culinaire qui tourne au polar absurde. Des histoires décousues où l’absurde se mélange à la normalité et où les dialogues savants entretiennent l’ennui sans qu’il devienne débordant. Amusant au final (note : 3/5)

Les Rois Vagabonds

Les Rois Vagabonds est ce qu’ils appellent eux-mêmes un ‘concerto pour deux clowns’. Elle joue du violon en virtuose dans des positions improbables, il est faussement maladroit et maîtrise le saxophone. Ils parlent peu et émettent quelques sons qui traduisent leurs sentiments. Ils sont élégants et légers, poètes et acrobates. Surprenant, émouvant et drôle. Un vrai plaisir. (note: 5/5) 

Tarkovski, en trois actes

A quelques jours d’intervalle, je découvre L’enfance d’Ivan (1962), Solaris (1972) et Stalker (1979). Le premier raconte l’enfance d’Ivan dont la famille est tuée par les nazis et qui prend les armes contre l’ennemi. Solaris nous emmène à la découverte d’une planète mystérieuse remplie d’océans qu’on voit depuis une station spatiale où les phénomènes mystérieux se succèdent. Stalker est le voyage initiatique de 3 hommes dans une zone interdite à la recherche d’une chambre secrète censée exaucer les désirs de ceux qui la pénètrent.

Si L’enfance d’Ivan est le reflet du réalisme et patriotisme soviétique d’après guerre, Solaris et Stalker sont une profonde réflexion sur  l’humanité, ses peurs (de l’inconnu, du progrès), son besoin de spiritualité et son éternelle quête de ce qu’il y a aurait delà du regard.

Des films intensément poétiques (et mystiques) à voir absolument!  

Un Ciel Radieux

7 ans après avoir découvert Quartier Lointain, et quelques mois après la disparition de Jiro Taniguchi, je trébuche sur Un Ciel Radieux où nous sommes encore en prise avec l’irréel pour souligner l’absurdité de nos vies de travailleurs urbains et les moments de bonheur que nous laissons filer entre nos mains. Dans ce manga, un salarié surmené, marié et père d’une fillette, perd le contrôle de son véhicule une nuit de travail et heurte de plein fouet un jeune motard de 17 ans. Contrairement aux pronostics, l’automobiliste décède et le motard survit miraculeusement, mais l’âme du père de famille envahit le corps du jeune motard pour une dernière tentative de communication avec sa famille. Subtile, dans les dessins et les textes et tout aussi poétique (quoique légèrement moins intense) que Quartier Lointain. (note : 4/5).

Les Désorientés

Un (nouveau livre de) Amin Maalouf est toujours un événement, surtout depuis son élection à l’Académie Française en 2011. Les Désorientés ne fait pas exception. Oui, Maalouf est un conteur hors pair. Oui, il explore les thèmes de l’identité, l’émigration et le voyage (intérieur et extérieur). Dans son dernier roman, on retrouve un cadre habituel aux thèmes maaloufiens: des jeunes gaucho idéalistes se séparent suite à la guerre dans un pays du Levant dont on ne connaitra pas le nom mais qui ressemble étrangement au Liban, mère patrie de l’auteur. Ils perdront leur Levant, leurs idéaux et une bonne partie de leur identité primaire. Tout cela est raconté à travers le retour de l’un d’eux au pays pour assister aux obsèques de celui qui était le chef de bande. Mais le retour ne se passera pas comme prévu et enchainera un torrent d’émotions et de rencontres avec le passé, le présent n’étant la que pour servir d’arrière-plan. On se laisse facilement entrainer par la fluidité de l’écriture et l’alternance des modes narratifs. Mais si certaines réflexions traduisent une profonde expérience personnelle de l’auteur (dans laquelle tout exilé, et en particulier libanais, pourrait se retrouver), on est souvent déçus par les lieux communs de certains échanges et le caractère forcé de certaines situations (comme le dialogue entre l’historien athée et le barbu islamiste), sans parler d’une « chute » (ou fuite? ou manque d’inspiration?)… consternante. Autant d’imperfections qui nous laissent sur notre faim: Amin Maalouf aurait pu écrire une épopée de l’exil, au lieu de cela, il nous sert une très bonne fiction personnalisée. Dommage. (note: 3/5)

Nymphomaniac (Director’s Cut)

Un film de Lars Von Trier est toujours un événement en soi.. ou un désastre nombriliste, le juste milieu n’existe pas pour le provocateur du cinéma. N’ayant pas vu la version cinéma (censurée), je me suis directement orienté vers la version longue de ce film fleuve (5h30) qui raconte la vie de Joe, auto-diagnostiquée nymphomane, qui raconte son histoire à un bonhomme gentil qui la ramasse ensanglantée et inconsciente dans la rue. S’ensuit une suite incohérente de flash-backs pornos (le terme « érotique » pourrait suggérer une dimension sensuelle totalement absente du film) racontés par Joe auxquels le gentil vieillard tente de donner une signification spirituelle, artistique ou métaphysique en faisant des parallèles grotesques avec la bible, Bach, la numérologie et la littérature. Et comme le spectateur est connu pour être débile, en tout cas celui censé assister à Nymphomaniac, LVT juge utile d’illustrer certains passages par des images d’archives ou des illustrations powerpoint dessinées sur l’écran. Charlotte Gainsbourg fait pitié de platitude et les scènes sexuelles sont dignes d’un porno trash, que le réalisateur tente vainement d’intellectualiser ou de réhabiliter dans les cercles mondains, par de grotesques dialogues sur le bien et le mal. Prétentieux et tristement affligeant. (note : 0/5)

Leviathan

Le Leviathan est selon la mythologie phénicienne le monstre du chaos primitif. Le film de Andrey Zviaguintsev nous montre le destin impitoyable qui s’abat sur Kolia au milieu d’une nature austère et primitive dans une société où une religion aveugle apporte une couverture morale à la cruauté de l’homme. Nous sommes au bord de la mer de Barents, à l’extrême nord Russe, et la carcasse de baleine en toile de fond nous rappelle que le cataclysme n’est jamais bien loin. Un film noir et intense. (note : 5/5)

Ida

Ida, de Pawel Pawlikowski porte bien l’adjectif « éblouissant » accolé à l’affiche du film. Dans une Pologne des années 60 dont le gris présumé devient atemporel avec le noir et blanc choisi pour le film, une orpheline élevée au couvent part à la rencontre de sa tante encore en vie. Cette rencontre sera une première étape pour une confrontation avec les démons de l’histoire polonaise sous l’occupation nazie et un christianisme quasi mystique. Le visage d’Agata Trzebuchowka (Ida) est celui de l’ange qui regarde et expérimente, protégé par son monde parallèle et exclusif… et qui finit par nous demander « a potem » (et alors?) avant de retourner dans son monde mystique. Envoûtant. (note : 5/5)

Voyage à Tokyo

Ce grand classique japonais de Yasujirō Ozu raconte l’histoire d’un vieux couple qui, dans le Japon d’après-guerre, vont visiter leurs enfants à Tokyo. Fiers d’une réussite qu’ils voyaient de loin, ce sentiment est vite remplacé par l’amertume de se retrouver de trop dans un quotidien de classe moyenne. Preuve d’une structure familiale détruite par la guerre, le seul être qui bouleverse son quotidien pour s’occuper d’eux est la belle fille, épouse d’un fils militaire sans nouvelle depuis de longues années. Les scènes d’intérieurs enchainent plans fixes avec une vue au loin sur d’autres pièces, sur le décor environnant ou sur l’horizon et créent une intimité forcée avec les personnages. Nous partageons leurs gènes et leurs minces bonheurs. Voyage à Tokyo fait partie de ces films où presque rien ne se passe jusqu’au moment où, bouleversés, on devient l’un des personnages pourtant si éloignés dans le temps et l’espace… et c’est à ce moment-là qu’on se rend compte qu’on vient d’assister à un grand moment de cinéma. (note: 5/5)