Un Ciel Radieux

7 ans après avoir découvert Quartier Lointain, et quelques mois après la disparition de Jiro Taniguchi, je trébuche sur Un Ciel Radieux où nous sommes encore en prise avec l’irréel pour souligner l’absurdité de nos vies de travailleurs urbains et les moments de bonheur que nous laissons filer entre nos mains. Dans ce manga, un salarié surmené, marié et père d’une fillette, perd le contrôle de son véhicule une nuit de travail et heurte de plein fouet un jeune motard de 17 ans. Contrairement aux pronostics, l’automobiliste décède et le motard survit miraculeusement, mais l’âme du père de famille envahit le corps du jeune motard pour une dernière tentative de communication avec sa famille. Subtile, dans les dessins et les textes et tout aussi poétique (quoique légèrement moins intense) que Quartier Lointain. (note : 4/5).

Les Désorientés

Un (nouveau livre de) Amin Maalouf est toujours un événement, surtout depuis son élection à l’Académie Française en 2011. Les Désorientés ne fait pas exception. Oui, Maalouf est un conteur hors pair. Oui, il explore les thèmes de l’identité, l’émigration et le voyage (intérieur et extérieur). Dans son dernier roman, on retrouve un cadre habituel aux thèmes maaloufiens: des jeunes gaucho idéalistes se séparent suite à la guerre dans un pays du Levant dont on ne connaitra pas le nom mais qui ressemble étrangement au Liban, mère patrie de l’auteur. Ils perdront leur Levant, leurs idéaux et une bonne partie de leur identité primaire. Tout cela est raconté à travers le retour de l’un d’eux au pays pour assister aux obsèques de celui qui était le chef de bande. Mais le retour ne se passera pas comme prévu et enchainera un torrent d’émotions et de rencontres avec le passé, le présent n’étant la que pour servir d’arrière-plan. On se laisse facilement entrainer par la fluidité de l’écriture et l’alternance des modes narratifs. Mais si certaines réflexions traduisent une profonde expérience personnelle de l’auteur (dans laquelle tout exilé, et en particulier libanais, pourrait se retrouver), on est souvent déçus par les lieux communs de certains échanges et le caractère forcé de certaines situations (comme le dialogue entre l’historien athée et le barbu islamiste), sans parler d’une « chute » (ou fuite? ou manque d’inspiration?)… consternante. Autant d’imperfections qui nous laissent sur notre faim: Amin Maalouf aurait pu écrire une épopée de l’exil, au lieu de cela, il nous sert une très bonne fiction personnalisée. Dommage. (note: 3/5)

Le goulag raconté par E. Guinzbourg

Au cours d’une discussion, j’apprends qu’une certaine Evguenia Guinzbourg, la mère du célèbre Vassili Axionov que j’ai récemment découvert à travers son chef d’œuvre Une Saga Moscovite, aurait écrit un des grands classiques sur le Goulag. N’ayant jamais réussi à lire plus de dix page d’un Soljenistyne, je mets cette nouvelle en veilleuse jusqu’au jour où un esprit avisé m’offre Le Vertige et Le Ciel de la Kolyma, les deux volets autobiographiques de l’œuvre de Guinzbourg… et là, c’est la révélation. Avec la même puissance de verbe qu’une Nina Berberova, « Jenia », fervente communiste, raconte avec une précision et une simplicité déconcertantes, son expérience des purges staliniennes de la fin des années 1930 qui l’ont emmenée des cachots du NKVD à Iaroslav jusqu’aux camps de « rééducation » de la Kolyma. Ce récit, qu’elle a écrit dans les années 1960-1970 après sa réhabilitation et son retour à Moscou (et dont elle avait conservé en mémoire tous les détails pendant toute la durée de son exil) porte encore toute la charge émotionnelle de cette expérience de la souffrance qu’un esprit normal aurait du mal à imaginer. Un grand moment de littérature à découvrir d’urgence… Merci M. B. pour cette excellente découverte (note : 5/5)

Quartier Lointain

Découvrir Jiro Taniguchi par son Homme qui marche, manga presque muet qui accompagne les promenades de quartier d’un homme ordinaire, n’est sûrement pas la meilleure entrée en matière : malgré des dessins subtils, le livre n’en reste pas moins déconcertant (mon premier manga contemplatif). Quartier Lointain est un manga plus classique où on retrouve la même subtilité dans l’image. L’intrigue d’un homme de 48 ans qui se retrouve dans sa peau d’adolescent de 14 ans est terriblement captivante et bien menée. On se laisse volontiers emporter dans ce Japon rural des années 1960 à la recherche du temps et des occasions perdus. Chacun de nous aurait pu être Hiroshi et on n’en garde que la déception de fermer le livre trop tôt. Ma meilleure découverte dans mon expérience limitée des mangas. (note : 5/5)

Chroniques de l’Oiseau à Ressort

Six ans après une première découverte, relire les Chroniques de Haruki Murakami relève encore du voyage dans un monde mystérieux mais à portée de main qui se crée autour d’un couple banal d’un employé de cabinet juridique qui quitte son emploi et son épouse qui cache de terribles secrets d’enfance. La poésie habituelle de Murakami est cette fois, dans ce roman qui se démarque nettement du reste de son œuvre, plus discrète. C’est surtout l’absence de frontières à l’imagination dans un univers clos qui tient dans un pâté de maisons qui envoûte le lecteur : le chat disparaît, une inconnue fait du charme au téléphone, une femme au nom de l’île de Crète prédit l’avenir… on se laisse avec plaisir entraîner dans ce monde fantastique. Sans doute le chef d’œuvre de Murakami et un des meilleurs romans que j’ai eu la chance de lire. (note : 5/5)

Alamut

Ce roman historique de l’écrivain slovène Vladimir Bartol de la première moitié du XX siècle est tout simplement étonnant : partant de l’histoire de la « secte des assassins » (secte ismaélienne du XI siècle) et du récit légendaire accompagnant cette secte (le fondateur, autoproclamé prophète, régnait sur une forteresse imprenable où il formait des futurs martyrs en leur ouvrant la porte du paradis grâce à des bonbons drogués), il dénonce dès la fin des années 30 (Staline au pouvoir depuis 15 ans, Hitler fraichement arrivé) les régime totalitaires basés sur la soumission et l’aveuglement des masses. Il prophétise aussi, longtemps avant les attentats du 11 septembre 2001, ce recours au martyr au nom de la religion et du paradis céleste. Captivant, tant du point vue historique que purement romanesque. (note : 4/5)

L’Arrache-coeur

Après avoir lu l’Ecume des jours, le titre de l’Arrache-coeur est trompeur, on s’attend à y retrouver ce fameux objet qu’Alise a utilisé pour tuer Jean-Sol Partre… mais Boris Vian nous livre un roman étonnant, moins poétique, autrement plus complexe. Nous sommes encore projetés dans un univers fantastique, un petit village perché sur les falaises qu’un étranger va voir d’un œil nouveau : le surréaliste (la foire aux vieux, les enfants esclaves, les animaux crucifiés, la religion luxe, …) se normalise lentement dans un rythme temporel déroutant et les seules personnes vivant à l’extérieur du village sombrent dans un amour obsessionnel inquiétant. Du Vian intense qui nous renvoie à notre propre folie. (note : 5/5)

L’Ecume des jours

Dès les premiers mots de ce roman culte, Boris Vian nous projette dans un univers poétique, surréaliste et déroutant où la matière est vivante et où il est question d’amour et de mort. Sur un fond de Duke Ellington (et notamment l’arrangement Chloé, qui partage son nom avec l’héroïne du roman), Colin vit dans un monde à la fois réel et fantastique où il rencontre Chloé dont il tombe amoureux. Mais Chloé tombe malade et le monde fantastique s’obscurcit à l’image de la tristesse qui envahit les personnages. Après le Maître et Marguerite de Boulgakov, une des plus belles histoires d’amour jamais écrites. (Re)découvrir ce chef d’œuvre relève de la nécessité. (note : 5/5)

Une Saga Moscovite

J’ai découvert Vassili Axionov au hasard d’un lien vers une liste de lecture sur Amazon. Après l’intermède de quelques Agatha Christie, je cherchais un roman qui ait de la consistance, où les pages se succéderaient pendant très longtemps et me laisseraient le temps de me familiariser avec les personnages… Bref, plus simplement, j’avais envie d’un « pavé ». Une Saga Moscovite répond à ce premier critère quantitatif : 1600 pages sur deux tomes pendant lesquelles nous accompagnons les péripéties de trois générations d’une famille de l’intelligentsia russe pendant le règne de Staline, du milieu des années 1920 à 1953. Dans un style romanesque unique où se mélange le tragique au burlesque, Axionov nous fait partager les espoirs et la violence des premières années de la révolution jusqu’à la désillusion et le climat de survie de la fin du règne de Staline… Les personnages sont le reflet de leur époque et illustrent à merveille cette vision d’une « intelligentsia » qui traverse l’Histoire tout en gardant son sens de la morale, de la famille et de la patrie. Vous l’aurez compris, il s’agit d’un chef d’œuvre qui se dévore et qui ne donne que l’envie de découvrir plus encore cet auteur peu connu. (note : 5/5)

Agatha Christie

Un retour aux classiques avec une (re)découverte des trois classiques d’Agatha Christie : Dix petits nègres, le Crime de l’Orient-Express et Le Meurtre de Roger Ackroyd. Suspens, intrigues inextricables et rebondissements sont au rendez-vous dans ces polars qui se dévorent dès la première page. En revanche, avec le recul, on reste déçus par les solutions des énigmes qui sont le plus souvent « sorties du chapeau » dans les dernières pages au lieu de résulter d’un accompagnement du lecteur tout au long de l’intrigue. Dommage. (note : 4/5)