Libre Echange

Le deuxième roman de Bernard Mourad, qui relate l’histoire d’un homme au bord du gouffre à qui le « système » propose de changer de vie, s’inscrit dans la même veine que le premier (Les Actifs Corporels) : incisif, caustique et miroir d’une humanité déchue. Seul « réconfort » : le pouvoir du système (financier, politique, médiatique) n’est pas suffisant pour créer le bonheur… Et qui mieux qu’un banquier d’affaire reconverti peut en parler ? Sans être un chef d’œuvre, se laisse dévorer (note : 4/5).

Voyage au bout de la nuit

La lecture du roman culte de Céline est en premier abord poussive et donne l’impression de ramer à contre courant dans un fleuve déchainé. Petit à petit, un malaise s’installe, ce personnage lâche et cynique qu’est Ferdinand Bardamu ne cesse de se heurter à l’absurdité du monde qui l’entoure fait de guerres, de faux héroïsmes et de recherche de l’argent et du plaisir.  On finit aussi par se rendre à l’évidence que le thème de la nuit est omniprésent et que l’action semble se dérouler dans une pénombre sans fin : la première guerre mondiale ressemble à une succession de fuites nocturnes, l’expérience américaine finit dans des déambulations nocturnes, Rancy qui vit dans la pénombre, l’asile de Vichy vit la nuit… Le monde que met en scène Céline réduit l’homme à un animal enragé, les visages sont gris, les destins tristes à mourir, le soleil ne s’y lève pas, mais ce monde est affreusement réaliste et inquiétant. Après ce « voyage », le lecteur a aussi l’impression d’être arrivé au bout de la nuit… Oui, c’est de la grande littérature! oui, Céline est un des grands écrivains français de son siècle.  A lire. (note : 5/5)

La Rumeur des Steppes

« René Cagnat, ancien diplomate, vit aujourd’hui dans cette zone de fracture qu’est l’Asie centrale et enseigne à l’université de Bichkek, en Kyrghyzie ». Les premiers mots de la quatrième de couverture disent déjà l’essentiel. Une fois qu’on a regardé une carte pour « se rappeler » où se trouve la Kyrghyzie (dont certains ne soupçonnaient pas l’existence avant d’avoir vu le mot), on commence timidement la lecture de cette histoire d’une zone méconnue du globe. L’écrivain n’est ni romancier ni un représentant de cette nouvelle espèce de faux aventuriers qui nous racontent des histoires de traversées de globe en chien de traineau (en oubliant de citer l’hélicoptère qui les transportait entre deux étapes). René Cagnat, passionné par les rencontres humaines, nous raconte cette région du globe qu’il a découverte il y a quelques décennies et à laquelle il a développé un attachement particulier. Des fresques historiques de Gengis Khan et Tamerlan aux conséquences encore visibles d’un siècle de communisme, l’histoire est racontée sans fioritures, parfois en désordre ou avec un petit côté mélodramatique qui traduit plutôt une spontanéité et un immense attachement qu’une réelle volonté de tomber dans l’affectif. Loin de la froideur d’un simple récit historique, l’auteur nous fait vivre une rencontre, souvent triste mais remplie d’humanité. Merci M. B. pour cette belle découverte. (note : 4/5)

Le Docteur Jivago (roman)

Boris Pasternak raconte une épopée dans le pur style russe : un destin hors du commun, une enfance qui pose les germes de la tragédie et une vie en apparence normale (dans le décor historique qui est le sien) mais qui magnifie les évènements qu’elle traverse. Iouri Jivago est ainsi l’homme qui a des idéaux progressiste mais qui, comme tant d’autre, comme l’intelligence même, sera brisé par la barbarie d’une révolution bolchévique sanguinaire. Un grand roman dans la lignée d’un Dostoïevski ou d’un Tolstoï… et un prix Nobel (refusé) pour rassurer ceux qui font confiance aux titres de noblesse. Un classique incontournable. (note : 5/5)

C’est moi qui souligne

Nina Berborova, dans sa préface à l’édition française de son autobiographie, commence par la recherche d’un mot dont on ne comprendra la portée de 500 pages plus loin. Un mot qu’elle illustre par la relation sur plus d’un siècle et demi entre les intellectuels russes et français. Ce mot, la « nécessité », traduit à merveille son besoin d’écrire qu’elle partage avec nous dans cette autobiographie hors du commun. Nous sommes en effet à l’opposé d’un étalage incontrôlé d’émotions et de situations personnelles  qui réveilleraient un voyeurisme primaire dans tout un chacun… nous sommes également loin d’une tentative de re-raconter l’Histoire, tentation facile pour un personnage qui a vécu plusieurs évènements marquants du XX siècle. Au lieu de tout cela, Berberova nous met dans une bulle (évidemment personnelle) et nous fait voyager avec elle à travers les lieux et les époques : le Pétersbourg d’avant la révolution, la révolution russe de 1917, le Paris (russe et non russe) d’avant-guerre, la deuxième guerre mondiale à travers ses impressions d’un petit village perdu dans l’Ile-de-France, et le dernier voyage au nouveau monde. Elle nous raconte sa vie comme une rencontre… avec des grandes figures de la littérature russe, avec le temps, avec elle-même. Bref, un de ces livres fabuleux qu’on regrette de ne pas avoir lu plus tôt. (note : 5/5)

L’Affaire Kravtchenko

Nina Berberova faisait partie des écrivains et journalistes qui ont couvert le célèbre procès Kravtchenko qui, en 1949, a opposé un ancien haut fonctionnaire soviétique qui « est passé à l’Ouest » (Viktor Kravtchenko) à la revue communiste Les Letres Françaises. Kravtechenko, auteur d’un livre J’Ai Choisi La Liberté où il raconte la réalité du régime soviétique telle qu’il l’a vécue (le Parti, les purges, les camps, etc.) avait assigné la revue communiste pour diffamation après que celle ci eu publié plusieurs articles traitant l’auteur de menteur, traître et autre épithètes du même calibre. D’un simple procès en diffamation, le Tribunal parisien est devenu une tribune où il s’agissait de prouver que l’Union Soviétique était la dicature que décrivait le dissident alors que les communistes français (dont des prix Nobel et des députés), fidèles à la ligne du Parti, clamaient haut et fort que les millions de soviétiques étaient les plus heureux du monde. Nina Berberova raconte ce procès comme elle l’a vécue en tant qu’émigrée et journaliste russe, consternée par l’aveuglement et les mensonges de la défense, avec un parti pris mais une efficacité certaine.

Le fait historique (et le dégoût que suscitent les communistes français de l’époque) ainsi que le livre de Kravtchenko dont il est question (et dont la lecture est antérieure à l’existence de ce blog), valent sans aucun doute le détour. (note : 4/5)

Love & Pop

Le dernier Murakami (Ryu, pas Haruki) aborde encore une fois le thème cher à l’auteur : la décadence de la société japonaise en apparence très normée mais dont les soupapes résident (entre autres) dans des formes de prostitution extrêmes. Si le thème des jeunes lycéennes qui offrent leurs services pour se payer un sac Vuitton est d’actualité, son traitement dans ce court roman est d’une facilité déconcertante. Une fois qu’on élimine tous ces passages qui reproduisent des extraits d’émissions de radios ou de télé, il ne reste pas grand chose du roman. Et ce pas grand chose, même s’il arrive par moment à faire ressentir la violence latente qui se cache derrière ces clubs de rencontre téléphoniques, on reste déçus par l’ensemble très en deçà de l’intensité dramatique de ses chefs d’oeuvre précédents (Bébés de la consigne automatique, trilogie des monologues sur le plaisir, etc.) (note : 1/5)

Terre des Hommes

Ce best-seller de Saint Exupéry est à mes yeux décevant en comparaison avec Vol de Nuit. Terre des Hommes est une juxtaposition de réflexions de l’auteur… entre sociologie, psychologie, philosophie, souvenirs, hommages. Nous sommes saisis par la passion pour cette aventure humaine qu’est l’aviation du début du XX siècle. Nous ne pouvons que nous incliner devant le courage sans borne de ces hommes qui sacrifiaient tout pour transporter le courrier des pays riches vers des contrées lointaines et inconnues. Nous sommes bouleversés par l’extrême humanisme de l’auteur qui voit dans chaque homme un « Mozart assassiné »… mais deux choses me dérangent: le caractère déstructuré de l’œuvre qui lui enlève de sa force et, surtout, le mépris latent pour l’immobilisme des sociétés et pour tout ces gens enfouis dans leur confort. Mais Saint Exupéry semble parfois oublier que l’aventure n’est qu’une « extension » de cette immobilité… et que sa seule raison de découvrir le monde au début du XX siècle résidait dans le transport des lettres de toutes ces personnes immobiles.
Dommage, il ne manquait pas grand chose à cette excellente histoire pour devenir un chef d’œuvre (note : 4/5).

Vol de Nuit

Ce court roman d’Antoine de Saint-Exupéry porte une intensité dramatique inversement proportionnelle à sa taille. On y vit une nuit d’aventure et de peur aux côtés des pilotes aventuriers de l’aéropostale du début du XX siècle quand les vols nocturnes ont fait leur aparition. L’auteur, pilote de métier, raconte à merveille ces sentiments de puissance et d’impuissance mélangés de ces pilotes de l’inconnu, ainsi que l’attente de ceux qui restent au sol et pour qui, en une nuit d’orage, n’ont que l’attente à se mettre sous la dent. Superbe. (note : 5/5)

Le Petit homme et la guerre

Ce roman du libanais Elias Khoury dont le sous-titre est Le Voyage du Petit Ghandi raconte les destins fragmentés de plusieurs personnages qui se côtoient dans le Beyrouth des années 80, en pleine guerre et au moment de l’invasion israélienne qui allait remettre la ville à feu et à sang. Dans cette « histoire à trous » comme aime le répéter l’écrivain, on y rencontre le cireur de chaussures Ghandi, la prostituée Alice, le pasteur Amin, l’américain Davis, le milicien Zeyla, etc. On se sait pas grand-chose de ces individus dont le seul point commun est de se retrouver là, victimes d’évènements qui les dépassent. Leurs destins sont à l’image de la ville qui les entoure: temporaires, sans mémoires mais profondément humains. Un conte à découvrir. (note : 5/5)