Warlikowski, le metteur en scène star hyper-médiatisé de ces dernières années, revient au Théâtre de l’Odéon avec une adaptation d’Un Tramway Nommé Désir de Tennessee Williams. Et, comme pour toutes les stars, on peut aimer par goût ou par effet de mode, ou bien on peut ne pas aimer parce que les paillettes ne suffisent pas toujours pour faire vibrer une salle de spectateurs attentifs. Pourtant, l’affiche était alléchante : un texte revisité par Wajdi Mouawad et une héroïne incarnée par Isabelle Huppert en personne. Si on reconnait la touche Warlikowski dans la mise en scène (néons, décors minimalistes et épurés, un espace unique transformable à souhait, …), la pièce tourne vite en un défilé de mode d’une Isabelle Huppert (habillée par YSL et Dior, comme le précise bien le livret d’accueil) qui en fait presque un peu trop… On ne s’ennuie pas (comme c’était le cas pour Angels in America du même metteur en scène) mais le destin tragique de l’héroïne nous laisse indifférents… Les applaudissements sont (très) timides, la salle est déçue, c’est « bien » mais ça manque d’authenticité et de tripes… (note : 2/5)
Le Docteur Jivago (roman)
Boris Pasternak raconte une épopée dans le pur style russe : un destin hors du commun, une enfance qui pose les germes de la tragédie et une vie en apparence normale (dans le décor historique qui est le sien) mais qui magnifie les évènements qu’elle traverse. Iouri Jivago est ainsi l’homme qui a des idéaux progressiste mais qui, comme tant d’autre, comme l’intelligence même, sera brisé par la barbarie d’une révolution bolchévique sanguinaire. Un grand roman dans la lignée d’un Dostoïevski ou d’un Tolstoï… et un prix Nobel (refusé) pour rassurer ceux qui font confiance aux titres de noblesse. Un classique incontournable. (note : 5/5)
Tsar
Après l’Ile, Pavel Lounguine reste sur sa lancée mystique pour mettre en images le règne d’Ivan le Terrible qui, entre paranoïa et démence, met la Russie du XVIᵉ siècle à feu et à sang. Piotr Mamonov qui a accompagné Lounguine dans plusieurs films (Taxi Blues, l’Ile) est fascinant dans le rôle du Tsar fou qui voit le jugement dernier se profiler dans chacun de ses actes. Film surprenant qui ne cède en rien à une violence facile et qui nous laisse cloués à notre siège pendant deux heures sans voir le temps passer. (note : 4/5)
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La poésie est de retour, avec ces quelques vers de Nadia Tuéni
« Douce douce odeur du silence
il pleut dans mes yeux cette nuit
le ciel est un ruban usé,
l’étoile une bête qui fuit. »
Nadia Tuéni, Jardinier de ma Mémoire
Les Démons (la pièce)
Après Vie et Destin en 2008, le MC93 de Bobigny rend cette année hommage à Lev Dodine (metteur en scène et directeur du Maly Drama Théâtre de Saint-Petersbourg) par une rétrospective sur l’ensemble de son œuvre. C’est ainsi que l’adaptation du roman éponyme de Dostoïevski d’une durée de 7 heures créée en 1991 a eu droit à une nouvelle vie. Si 7 heures de spectacle peuvent laisser sceptique sur la capacité à garder une salle comble en éveil, Lev Dodine nous donne la démonstration que non seulement c’est possible, mais que le temps peut filer à une incroyable vitesse et que le spectateur se laisse volontiers emporter dans la vie destructrice de ces « possédés » dont la folie est toujours d’actualité. Si le roman de Dostoïevski n’est pas à présenter, cette deuxième pièce de Lev Dodine que j’ai le plaisir de voir semble confirmer qu’on est en présence d’un metteur en scène et une troupe à suivre. (note : 5/5)
L’Enigme de Kaspar Hauser
Werner Herzog raconte une histoire étrange tirée d’un fait réel : à Nuremberg au XIX siècle, un homme adulte qui avait passé sa vie enfermé dans un cachot coupé de tout contact humain est retrouvé sur la place du village. Un comte bienveillant essaye de le ramener à l’humanité en lui enseignant à lire, écrire et se tenir dans une société dont il critique candidement les simagrées. Il commence même à apprendre à rêver jusqu’à ce que les vieux démons le rattrapent. A voir. (note : 4/5)
Vol au-dessus d’un nid de coucou
Heureusement que certaines lacunes peuvent être comblées et voir ce chef-d’œuvre de Milos Forman en fait partie. Jack Nicholson se fait interner pour échapper à la prison… et se prend d’affection pour ce petit monde qu’une infirmière stricte mène à la baguette… jusqu’à y rester plus longtemps que prévu. Un rôle que seul Nicholson pouvait jouer. A voir. (note : 5/5)
Thirst
Park Can-Wook, réalisateur de la sublime trilogie violente : Sympathy for Mr Vengeance, Lady Vengeance et Old Boy, revient avec un banal film de vampires dont le manque d’originalité, la prévisibilité des scènes et la longueur le transforment en une rencontre avec l’ennui… Sans s’attarder sur cet enchainement d’images qui donne une impression de brouillon, vous l’aurez compris : fuyez ! (note : 1/5)
Numéro 9
Le film d’animation Numéro 9 (produit, et non pas réalisé par Tim Burton) nous plonge dans une atmosphère sombre et métallique de fin du monde tout en gardant un côté attachant et poétique grâce à ces créatures miniatures aux traits basiques mais étonnamment expressifs. Si le scénario offre peu d’originalité, l’ambiance de ce film indépendant est suffisante à faire passer un bon moment et nous faire regretter une durée si courte (1h20). (note : 4/5)
C’est moi qui souligne
Nina Berborova, dans sa préface à l’édition française de son autobiographie, commence par la recherche d’un mot dont on ne comprendra la portée de 500 pages plus loin. Un mot qu’elle illustre par la relation sur plus d’un siècle et demi entre les intellectuels russes et français. Ce mot, la « nécessité », traduit à merveille son besoin d’écrire qu’elle partage avec nous dans cette autobiographie hors du commun. Nous sommes en effet à l’opposé d’un étalage incontrôlé d’émotions et de situations personnelles qui réveilleraient un voyeurisme primaire dans tout un chacun… nous sommes également loin d’une tentative de re-raconter l’Histoire, tentation facile pour un personnage qui a vécu plusieurs évènements marquants du XX siècle. Au lieu de tout cela, Berberova nous met dans une bulle (évidemment personnelle) et nous fait voyager avec elle à travers les lieux et les époques : le Pétersbourg d’avant la révolution, la révolution russe de 1917, le Paris (russe et non russe) d’avant-guerre, la deuxième guerre mondiale à travers ses impressions d’un petit village perdu dans l’Ile-de-France, et le dernier voyage au nouveau monde. Elle nous raconte sa vie comme une rencontre… avec des grandes figures de la littérature russe, avec le temps, avec elle-même. Bref, un de ces livres fabuleux qu’on regrette de ne pas avoir lu plus tôt. (note : 5/5)