A une passante

Le poème du mois, un classique qu’on ne présente plus…

« La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! »

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

Redacted

Brian de Palma invente un genre nouveau : la fiction documentaire où se mêlent mise en scène et images d’archives dans un mélange détonnant. La guerre y est montrée du doigt, non pas en tant que concept global insaisissable, mais en tant que réalité qui « met en scène » des individus qui échappent justement à ce concept et prennent part à une horreur qui dépasse largement les images lisses des télévisions occidentales. Subtil et brutal en même temps, Redacted, en partant d’un crime de guerre divers, va justement au-delà de cette vérité « revue et corrigée » qui accompagne tout conflit. (note : 4/5)

Johnny Griffin au Duc des Lombards

Johnny Griffin, saxophoniste culte américain surnommé le little giant, vient de donner deux concerts au Duc des Lombards, club de jazz fraichement rénové à Paris. Griffin semble faire partie des légendes de jazz à en croire sa biographie sur wikipedia et les « fans » qui se sont précipités aux autographes en fin de concert. Mais à 80 ans, le souffle perd de sa vigueur même si on sent encore une certaine puissance qui se dégage du personnage. La seule (et principale) déception vient du lieu… après rénovation, le Duc des Lombards est tout simplement à éviter : scène minuscule, visibilité limitée à un dizaine de tables, places aveugles en quantité… ce qui se voulait un concept « tourné vers la scène » l’ignore merveilleusement. (note : 3/5 pour le concert, 0/5 pour le lieu)

Le rideau de Kundera, ou l’héritage de Cervantes

Le rideau, essai en sept parties publié par Kundera en 2005, ressemble à une tombée de rideau sur l’œuvre du romancier. L’auteur y aborde les thèmes centraux de son œuvre : l’art du roman hérité par Cervantes (Don Quichotte) et Rabelais, le rire, le kitsch et la dimension existentielle du roman, ces mêmes thèmes que j’avais eu l’occasion d’approfondir il y a plusieurs années dans ma plongée dans l’œuvre de Kundera. Kundera y aborde également (avec plus ou moins de succès) d’autres thèmes aux allures de fin de règne : la mémoire, l’oubli, le caractère éternel du roman.

Si cet essai reste indispensable pour tout passionné de l’œuvre de Kundera, il s’inscrit profondément dans cette œuvre (le lire tout seul sans avoir lu l’œuvre de Kundera serait une déception) dont il constituerait la triste fin. L’essai s’achève en effet dans une affirmation rapide et désabusée du caractère « périssable du roman ».

On y retrouve néanmoins (rarement…) les éclairs de génie de l’auteur, ces réflexions aux allures anodines mais qui laissent pantois, comme après une décharge électrique. Les réflexions sur la « beauté d’une soudaine densité de la vie », la démystification du kitsch (comme une variation de la vulgarité) et de la logorrhée mondiale (« la lecture est longue, la vie est courte ») constituent quelques exemples de ces émotions uniques que Kundera seul sait donner à ses textes. Bref, à lire… mais après les autres écrits de l’auteur. (note : 4/5)

Pauvre valentine

Oops, la Saint Valentin est encore une fois passée sans que j’achète une rose rouge à double prix ou une peluche en forme de cœur. Nous avons aussi oublié de réserver dans un restaurant qui, exceptionnellement, nous fait vivre une expérience incroyable un peu plus chère que la veille, serrés contre d’autres valentins qui s’échangent leurs promesses de l’année et quelques sourires mièvres. Encore une fois, nous avons oublié de participer à cette immense ronde des amoureux qui se tiennent tous par la main dans un fabuleux élan de lyrisme et de générosité… pendant 24 heures.

Pauvre Valentine !

Le banissement

Dans un splendide décor moldave, un homme, sa femme et leurs deux enfants arrivent dans une maison de campagne où l’homme a passé son enfance. Les rares échanges entre les époux commencent par un aveu de trahison. La première partie du film (1h45 environ) ressemble à un roman existentiel où les détails sont relégués au second plan et où le regard du spectateur est concentré sur l’univers d’une trahison muette. On se laisse bercer par le côté contemplatif mais en même temps doucement torturé du film…
On est heureux, on a envie d’en rester là, mais le réalisateur (Andrei Zviaguintsev) en a décidé autrement et, au lieu de partir dans une douce brume tragique, on assiste à 45 minutes de flash back et d’enchainements lourdauds d’un réalisateur sans finesse qui semble paniquer à l’idée de garder quelque mystère autour de ses personnages… On finit par s’ennuyer, la magie se transforme en pâle réussite. (note 2/5)

Anthologie de nouvelles japonaises

L’Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines est, comme toute anthologie, un voyage rempli de surprises et découvertes. La nouvelle est un exercice à part, difficile de par la taille qui est inversement proportionnelle aux attentes : on attend l’intensité dramatique d’un roman concentrée en quelques pages. L’anthologie en question réussit ce défi et, malgré quelques déceptions, nous emporte dans la richesse de la littérature japonaise qui ne se réduit pas aux quelques écrivains dont la renommée a déjà dépassé les frontières (Mishima, Kawabata, …). Le kaléidoscope est riche en couleurs et émotions et on n’a qu’une envie : noter la dizaine de nouveaux noms (Uno, Nakamura, Takeda, Yoshiyuki, Kaiko, Sata, Hara, etc.) et aller vite découvrir la matière plus dense qu’ils ont créée. (Merci à M. et Mme B. pour l’idée originale). (note : 4/5)

Mon Pays

Dans la rubrique Poésie, voici le poème de février, un texte de Nadia Tuéni sur le Liban. (cliquer sur Read more pour afficher tout le texte)

« Mon pays longiligne a des bras de prophète.
Mon pays que limitent la haine et le soleil.
Mon pays où la mer a des pièges d’orfèvre,
que l’on dit villes sous marines,
que l’on dit miracle ou jardin.
Mon pays où la vie est un pays lointain.
Mon pays est mémoire
d’hommes durs comme la faim,
et de guerres plus anciennes
que les eaux du Jourdain.
Mon pays qui s’éveille,
projette son visage sur le blanc de la terre.
Mon pays vulnérable est un oiseau de lune.
Mon pays empalé sur le fer des consciences.
Mon pays en couleurs est un grand cerf-volant.
Mon pays où le vent est un nœud de vipères.
Mon pays qui d’un trait refait le paysage. Continuer la lecture de Mon Pays

Sweeney Todd

Tim Burton fait partie de ces réalisateurs dont l’imaginaire semble sans limites. Le résultat est souvent miraculeux de finesse, de beauté et d’originalité mais Sweeney Todd semble faire exception à la règle. Dans ce conte sanguinaire où les dialogues sont chantés (oui, chantés…), on finit par se lasser du Londres imaginaire d’une autre époque et du désir de vengeance expéditif de Sweeney. Tout ça finit dans une explosion de sang et un soupir de soulagement. (note : 1/5)